20 km à pied, ça use…
Partir à la mer deux semaines après avoir emménagé dans notre nouvelle maison me paraissait déraisonnable. Mais ma femme était catégorique: nos deux filles avaient besoin de vacances. Le temps de boucler nos valises, la joyeuse famille s’élançait vers les plages du Maine. On n’avait pas encore franchi la frontière que les premiers «On arrive quand?» nous parvenaient du siège arrière.
Je pensais que les choses allaient se calmer, mais après 6 heures de route et excédé par une longue litanie de plaintes et de reproches (et surtout persuadé que nous étions tout près de notre destination), j’ai écrasé les freins, sauté de la voiture et me suis écrié: «Trop, c’est trop! Je continue à pied.» L’impatience des automobilistes à l’arrière ayant coupé court à toute tentative de négociation, c’est dans un nuage de sable et de poussière que mes chéries ont poursuivi leur périple vers notre petit cottage.
Je marchais déjà depuis un moment quand j’ai croisé mon reflet dans la vitrine d’une boutique. Vêtu de noir des pieds à la tête et chaussé de bottes de cowboy, je ressemblais à un Johnny Cash perdu dans un océan de vacanciers en maillots de bain. Penaud, j’ai demandé mon chemin à un policier. Sa réponse m’a stupéfait. Dans ma tête, Kennebunk se trouvait à côté d’Ogunquit. Dans les faits, c’est à plus de 16 kilomètres.
Dépité, je me suis planté sur le bord de la route pour faire du pouce, mais mon accoutrement incitait plutôt les conducteurs à accélérer. Deux trolleybus de touristes et trois heures de marche plus tard, j’ai enfin atteint Kennebunk, où je me suis empressé de sortir de ma poche l’adresse du cottage pour réaliser qu’il se trouvait en réalité à Kennebunk… port. Un panneau devant moi indiquait: Kennebunkport, 8 km. À court de solutions, je me suis dirigé vers le poste de police tout près. L’officier derrière la vitre pare-balles était un véritable colosse.
«Je peux vous aider?
— Je l’espère, je cherche à me rendre à Kennebunkport par… n’importe quel moyen.»
Il m’a toisé d’un œil méfiant.
«Vos papiers!
— Ils sont dans la voiture…
— Hé bien, allez les chercher…»
Gêné, je lui ai alors tout avoué: les six heures de route, les jérémiades des enfants, l’exaspération de la maman, mon ras-le-bol…
Après m’avoir écouté en silence et intimé d’aller l’attendre sur le banc près de la porte, l’officier est allé consulter son chef. Puis il m’a conseillé de bien l’écouter parce que ce qu’on s’apprêtait à faire était interdit par la loi. Prêt à tout, je l’ai même encouragé à me passer les menottes. Comme seule réponse, il m’a escorté à travers le stationnement et installé sur la banquette arrière grillagée d’une voiture de police.
Une fois en route, il m’a demandé comment j’étais arrivé jusque-là? Je l’ai laissé se moquer de moi jusqu’à ce qu’il immobilise la voiture juste devant la chaise longue où se trouvait ma femme, les doigts de pied en éventail.
Son sourire moqueur pendant que l’officier m’extirpait de ma cage et que mes filles accouraient vers moi avec chacune un Larry le Homard gonflable dans les mains m’a laissé espérer que le pire était derrière moi.
— Luc Bouchard
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